Myriam Fregonese est née en 1968 à Vichy, dans l’Allier. Après avoir pensé durant quelques années qu’elle ne ferait pas d’études, elle s’inscrit à l’université et devient psychologue, puis docteure en psychopathologie fondamentale et psychanalyse. Elle a longtemps soigné ses patients adolescents à travers des ateliers d’écriture, individuels ou de groupes, au sein d’un établissement psychiatrique parisien qu’aujourd’hui elle dirige. Recoudre la nuit est son premier roman.
Comment vous est venue l’idée de ce livre?
Dans ce roman j’ai voulu creuser l’histoire d’une jeune femme, Violaine, mon personnage principal, aux prises avec sa folie, ses démons intérieurs, son histoire, les silences de sa mère, l’absence cruelle de son père mort. Violaine évolue au sein d’un établissement psychiatrique durant l’Occupation, dans la région de Vichy, dans l’Allier. Telle est l’idée de départ, le motif, pour ne pas dire le mobile, de ce roman. Placer la folie au cœur du cyclone de la seconde guerre mondiale, au plus près d’un gouvernement ayant lui-même perdu la raison, et suivre la trajectoire de personnes, mes personnages, frappés d’une folie que je tente de faire sentir au plus près de mon expérience de clinicienne, affamés avec cynisme par les autorités en place, entourés de soignants mais pas seulement…
De ma place de directrice d’un hôpital psychiatrique, la question des responsabilités, de ce qui est supportable, de l’accompagnement que l’on peut, ou pas, garantir dans certains contextes extraordinaires est une question centrale, éthique, tout simplement humaine. Ainsi l’abandon meurtrier dans lequel les malades mentaux ont été, durant l’Occupation, délibérément plongés par le gouvernement de l’époque est un fait historique, malheureusement peu connu, à ce point difficile à concevoir qu’il m’a fallu imaginer des personnages dans cette situation pour tenter de tisser de l’humanité, de la poésie, de l’amour pourquoi pas. Puis la question du judaïsme s’est naturellement imposée dans les interrogations identitaires de mon personnage principal car je ne pouvais pas faire sans mes propres associations, mes propres questionnements, sans l’histoire aussi et la menace qu’a représenté le fait d’être juif, à Vichy, durant cette sombre période.
Quelle est votre filiation littéraire?
Plusieurs formes d’art m’amèneront un jour à écrire de la littérature. Très jeune je pratique la danse et le théâtre. Avec ce dernier je découvre des textes qui me traversent. J’en ressens le rythme, la logique dramaturgique et psychologique. De là certainement mon engagement, bien des années plus tard, dans des études de psychologie. Car la dramaturgie naturelle des situations humaines que je rencontrerai dans ma vie professionnelle, je la touche du doigt lorsque je suis sur scène et que je dis les mots de celui ou celle qui a écrit le texte. Avec la danse je ressens le rythme, la syncope, tout ce qui n’est pas dit et trouve malgré cela à s’exprimer, amène une chose après une autre, dans une logique corporelle de pulsation et d’articulation
Plus tard, alors que les études de collège et de lycée ont presque réussi à me détourner de la littérature, un ami me conseille de lire Le Diable au Corps de Raymond Radiguet. En plongeant dans cette histoire d’amour, je découvre que je peux ressentir corporellement un livre, comme je le faisais jusqu’alors d’une musique ou d’une chorégraphie. Quelques jours plus tard je pousse la porte d’une petite librairie de Vichy, tenue par une fine lectrice, ancienne soixante-huitarde parisienne, qui va m’aider à découvrir ce que sera mon style de lectrice, à trouver les textes susceptibles de m’aider à grandir, à avancer dans ma vie d’adulte.
Aujourd’hui je puise dans mes lectures le désir et la force d’écrire. Lorsque je lis Rosie Carpe de Marie Ndiaye, je trouve une puissance littéraire singulière, une recherche autour de ce qui fonde un être humain, le sépare de l’animalité, ce qui le fait tenir ou le broie. Evidemment les textes de Marguerite Duras m’accompagnent depuis toujours. Un Barrage contre le Pacifique m’autorise à admettre la tragédie familiale comme une source, un terreau potentiellement fertile. Ce roman me délivre de l’idée qu’elle n’aura fait que prendre. Enfin la trilogie des jumeaux : Le grand cahier, La preuve et Le troisième mensonge, d’Agota Kristof, représente à mes yeux un monument de liberté et de recherche littéraire. L’auteure creuse, fouille le tissu relationnel, l’équilibre psychique si fragile, la création de l’identité.